L’Isthme de Miquelon-Langlade et le Grand Barachois
A l’Ouest les petites collines, constituées uniquement de sable fin, sont appelées localement «Buttereaux». Ils se sont vraisemblablement formés à la fin de la dernière glaciation alors que le niveau de la mer était inférieur au niveau actuel, étant donné l’énorme quantité d’eau encore immobilisée dans les glaciers, plus au nord. On peut se représenter la scène ainsi : une dune, très large, ce qui est vraisemblable étant donné la faible profondeur; le sable, déplacé par le vent, a fini par s’accumuler en buttereaux, bientôt fixés par une végétation adaptée, Sabline, Spartine, Oyats etc.
Les buttereaux ont connu de nombreuses fluctuations, périodes d’érosion, et période d’apport de sable. L’époque actuelle est caractérisée par une érosion très importante qui menace de disparition la partie Nord. Pour essayer de remédier à cet état de chose, des travaux ont été entrepris depuis quelques années qui consistent à créer un «piège à sable» et ainsi tenter de «reprofiler» la dune à l’Ouest des buttereaux. L’érosion est également évidente à l’Est, notamment lors de forts vents de Nord-est en période de grande marée. La route, construite comme une «digue» depuis quelques années, le long de la côte, y a porté remède, sur environ les 2/3 de la côte.
Le Grand Barachois, inséré entre les deux bras de l’Isthme, est une lagune peu profonde parsemée de bancs de sable localisés dans sa partie sud-est et qui découvrent à marée basse. La profondeur, encore moindre dans sa partie Ouest, permet d’exposer une large plage de sable fin.
Dans le Grand Barachois se reproduisent les Phoques veaux-marins, les femelles mettent bas durant la dernière semaine du mois de mai et la première semaine de juin. Les jeunes naissant sur les bancs à marée basse doivent être capables de nager dans les quelques heures qui suivent, c’est-à-dire à la prochaine marée haute. Ils sont nourris pendant environ 3 semaines. Les liens entre la mère et le jeune sont auditifs et olfactifs. Tout dérangement à ce moment critique, qui sépare la mère de son jeune, mène à l’abandon de celui-ci et finalement à sa mort, lorsqu’il a épuisé ses réserves de graisse. Les biologistes nous assurent que ces animaux sortent en mer pour se nourrir.
Les Phoques gris sont visiteurs, du printemps à l’automne. Il se reproduisent sur l’île des Sables vers la fin du mois de janvier. Leur origine est attestée par des individus marqués sur cette île et observés dans l’archipel à plusieurs reprises. Cette espèce, plus massive que le Phoque commun, se reconnaît à sa tête plus allongée.
Le Grand Barachois est un site privilégié pour l’étude de ces mammifères. Suite à leurs travaux menées ici, deux étudiants de l’Université Memorial ont obtenu leur DOCTORAT en 1993.
Notons dans la flore des buttereaux (et ailleurs dans l’archipel), la Sanguisorbe, le Pois de mer, la Potentille anserine, la Sabline, l’Oyat et la Spartine déjà mentionnés, la Berce (grande Ombellifère) Le jonc de la Baltique, le Plantain maritime, le Menyanthes trifolié…
Les limicoles (oiseaux de rivage) fréquentent ce site.
– certaines espèces y nichent comme le Pluvier semipalmé, le chevalier grivelé, la Bécassine, le Bécasseau minuscule ainsi qu’une espèce en voie de disparition : le pluvier siffleur.
– d’autres nous visitent au printemps lors de leur migration vers le Nord, assez régulièrement comme le Pluvier argenté, occasionnellement comme le Tourne-pierre et rarement comme le Pluvier doré européen et exceptionnellement comme, la Barge à queue noire, ou le Courlis corlieu eurasien.
– C’est surtout l’automne, que ces oiseaux de rivages, de retour du Labrador ou de l’Arctique canadien où ils ont niché, arrivent par centaines au Grand Barachois, pour se nourrir sur les bancs et le pourtour à marée basse. En un mot, pour se préparer à la longue migration vers l’Amérique du Sud où la plupart des espèces hivernent. Les arrivées sont différentes suivant les espèces. Fin juin ou première semaine de juillet pour le Courlis corlieu et à partir de la mi-juillet pour les chevaliers à pattes jaunes et le Bécassin roux; début août ou mi-août pour le Pluvier semipalmé, le Bécasseau semipalmé et le Bécasseau à croupion blanc; vers la fin d’août pour le Sanderling et en septembre pour le Bécasseau variable. Depuis quelques années le nombre de Bécasseau maubèche a considérablement augmenté entre septembre et novembre.
D’autres espèces, plus rares sont parfois observées, comme la Barge Hudsonienne, et le Bécasseau roussâtre.
Les Anatidés (canards) exploitant les herbiers de Zostère utilisent largement la lagune. Au printemps, les Canards noirs qui hivernent (en nombre croissant depuis quelques années, dépassant parfois les 500 individus), soit au Barachois s’il n’est pas totalement gelé, soit le long des côtes de l’Archipel, sont rejoints par de nombreux migrateurs de leur propre espèce.
Le canard pilet maintenant le nicheur le plus commun de l’isthme, arrive dès la première quinzaine d’avril, accompagné de la Sarcelle à ailes vertes et plus rarement de la Sarcelle à ailes bleues. Plus rares et observés de temps à autre sont le canard d’Amérique et le canard siffleur, le canard souchet (qui s’est reproduit en 1998 et 1999), et le canard colvert.
L’été est une période plus calme sur le plan d’eau, les jeunes canards ne le rejoignent qu’à partir de la mi-août.
Parmi les canards plongeurs, le Harle huppé peut y être observé quasiment toute l’année, et niche dans les marais proches. Le Garrot à œil d’or, est présent de novembre à avril-mai, en fonction de la surface d’eau libre restante durant l’hiver. Plus rarement, et en moindre quantité : quelques Fuligules milouinan, et petits Garrots.
La Bernache du Canada commune dans le passé, hivernant souvent, est devenue très rare depuis 1985, à cause de dérangements. Paradoxalement le nombre de nicheurs a augmenté, les populations n’étant pas les mêmes.
Aux abords du Grand Barachois nichent également quelques Laridés : le Goéland argenté, et le Goéland marin, éparpillés entre la lagune et le marais Dagort. Le Goéland à bec cerclé, beaucoup plus grégaire, niche en colonie dense. De plus, c’est un migrateur, arrivant dès les premiers jours d’avril pour repartir en octobre/novembre.
Deux espèces de Sternes, la Sterne pierregarin et la Sterne arctique sont observées régulièrement sur le site entre la mi-mai (ou fin-mai) et septembre octobre. et se reproduisent sur le site.
Le Pluvier siffleur, espèce en voie de disparition, a niché a plusieurs reprises sur l’isthme, nous avons environ 25 évidences de nidification depuis la première en 1985.
Le Barachois communique avec la mer par un goulet dont l’entrée change un peu au cours des années sous l’influence des tempêtes et des courants.
Les chevaux en liberté sont également une attraction sur l’Isthme. On les appelle souvent «Chevaux sauvages», en fait ils ont pratiquement tous un propriétaire. Comment sont-ils arrivés dans nos îles ? Peut-être au cours de naufrages ? Il ne semble pas exister de données sur le sujet. Seul moyen de transport terrestre pendant des années, ils ont rendu beaucoup de services, aussi bien pour le transport du courrier entre Miquelon et Langlade par les gendarmes que pour le travail de la ferme, le transport du bois etc. Le cheval de Miquelon-Langlade, qui a subi les lois de la sélection naturelle, en passant souvent l’hiver à l’extérieur est devenu très résistant.
L’introduction de quelques géniteurs du continent compromet certainement cette adaptation. Délaissés suite à l’avènement des moyens modernes de transports, ils connaissent depuis quelques années un regain de popularité grâce à l’équitation.
Il existe un projet de réserve naturelle pour ce site exceptionnel, d’importance régionale. Ce projet qui rencontrait beaucoup d’opposition semble maintenant peu à peu s’imposer dans l’esprit d’une partie de la population. Cette réserve, qui ne se justifiait pas dans le passé, les moyens de transport étant peu nombreux, non polluants et peu rapides et la faune plus abondante dans toute la région, devient maintenant indispensable à la préservation du milieu. Le site est réserve de chasse depuis 1980.
L’Isthme comprenait à une époque plusieurs fermes : Pourquoi celles-ci ont-elles été abandonnées ? Les conditions d’exploitation sous notre climat sont dures. Possibles à l’époque lorsqu’il s’agissait de SURVIVRE, elles n’ont pu se maintenir face à la concurrence des grandes exploitations du continent, dont les produits sont devenus de plus en plus facilement accessibles au fur et à mesure du développement des liaisons entre l’Archipel et le Canada. Nous sommes passés d’une économie de subsistance à la société de consommation, avec ses notions de gains, de compétitivité, de rentabilité …
Le marais (DAGORT) au sud du Grand Barachois est le plus riche de l’archipel, il peut abriter plusieurs couvées de canard pilet, de Harle huppé et plusieurs dizaines de couples de Sternes pierregarin. La Guifette noire y a été observée à plusieurs reprises, un couple a même niché en 1992 et 1993, ce qui constitue une extension d’aire importante. La limite Est de l’espèce étant la frontière entre la Nouvelle Écosse et le Nouveau Brunswick. Des hirondelles rustiques et bicolores y sont souvent observées.
La partie Sud de l’Isthme, jusqu’aux buttereaux Olivier, était pratiquement sans végétation, le couvert végétal y est maintenant assez important et comprend notamment une abondance des fraisiers dont les fruits sont mûrs vers la fin de juillet. On y trouve également une abondance de Camarine. Par contre, le Myrique de Pennsylvanie, commun sur ce genre de milieu aux îles de la Madeleine ou à l’île du Prince Édouard, se trouve ici seulement en tourbière ou en lande à éricacées.
Roger Etcheberry